Projectiles a 20 ans et de multiples talents
Date de parution : 15.05.2025
Sipane Hoh
L’agence résiste au passage du temps. L’Atelier d’architecture(s), piloté par les deux architectes Reza Azard, Daniel Mészáros et le designer et scénographe Hervé Bouttet, garde toujours les pieds sur terre, mieux encore, Projectiles met le cap en avant.

Situés au 134 rue d’Aubervilliers, dans un contexte atypique à l’architecture industrielle, les locaux de Projectiles interpellent tout visiteur. Etablie au 3ème étage, l’agence occupe deux plateaux entiers. Tandis que l’un est constitué d’un open space où prennent place les bureaux non loin d’une conséquente matériauthèque, le second plateau est un véritable atelier où sont éparpillées une multitude de maquettes à grande échelle autour d’un piano à queue. Troublante cohabitation ! Qui a dit qu’architecture et musique ne font pas bon ménage ?
Néanmoins, au milieu de cette grande pièce, des rideaux semblent cacher un autre espace : une salle de musique, cette fois-ci, une vraie avec son lot d’instruments et de plafond acoustique. Goethe ne disait-il pas « L’architecture, c’est de la musique figée. » ? Tous les ingrédients de cette citation prennent forme chez Projectiles, l’agence aux projets variés et multiples talents.
Le trio ne revendique aucune signature particulière, encore moins un programme favori, en témoigne un grand nombre de réalisations aux quatre coins de la planète. De la France jusqu’au Canada en passant par la Belgique, l’Allemagne, la Suisse ou encore les Etats-Unis et le Brésil. Des programmes aux contenus variés où les frontières entre architecture, architecture intérieure, scénographie, art et design s’évanouissent. Tout en s’ancrant profondément dans leur contexte, les conceptions de Projectiles font appel à l’imaginaire, se nourrissent de l’invraisemblable pour atteindre un certain perfectionnement voire même l’excellence. Allons donc découvrir quelques références.


Reconstruction et extension du Musée du Débarquement à Arromanches-les-Bains
Tout a été accompli afin d’être prêt pour les 80 ans du D-Day. Les échappées visuelles du monolithe donnent d’intéressants aperçus sur la manche tandis que la scénographie intérieure se focalise sur des faits et s’efforce à retracer l’histoire. L’Atelier Projectiles, mandaté pour mener à bien le premier musée consacré au débarquement en Normandie, a créé un lieu singulier, sur un site unique où l’architecture croise les vestiges d’une époque révolue. Un écrin où la connaissance et la transmission sont en symbiose avec leur environnement.
La bâtisse, qui occupe un emplacement stratégique et s’apparente à un musée paysage, se distingue par sa relation intime avec la commune d’Arromanches-les-Bains. Elle tisse le lien avec le paysage environnant et propose un nouveau décryptage du territoire. Le langage architectural est sobre. L’ensemble à la fois simple, minimaliste et rigoureux se caractérise par son auvent de quatre mètres de profondeur et de huit mètres de hauteur s'étendant sur toute la longueur du bâtiment et proposant une entrée distincte depuis la place du 6 juin 1944. L’exosquelette du bâtiment laisse deviner les colonnes préfabriquées qui font un joli clin d’œil aux ouvrages modulaires des éléments portuaires du port artificiel adjacent. L’intérieur du bâtiment est marqué par une faille longitudinale de seize mètres de long et de quatre mètres de large qui vient structurer la circulation au sein du musée. Dès l’entrée, les visiteurs arpentent une passerelle qui semble flotter dans ce gigantesque écrin et se sentent plongés au sein d’un parcours muséographique qui les emporte, les initie et les surprend. À l’emplacement d’un parking et d’une construction sans qualité architecturale vient se poser un musée unique qui récite, à sa manière, une fraction d’histoire.


Centre d'Interprétation de l’Architecture et des Patrimoines de Fougères
Les architectes de l’Atelier Projectiles ont été mandatés pour réaliser le Centre d’Interprétation de l’Architecture et des Patrimoines (CIAP) de Fougères qui raconte l’histoire de la cité bretonne. Baptisé La Coursive, il s’agit d’un équipement public qui prend place dans un environnement marqué par le Château de Fougères d’une part et d’autres constructions à l’architecture diversifiée donnant sur le boulevard Jacques Faucheux d’autre part. Un contexte compliqué qui a donné naissance à une forme frugale en béton brut de décoffrage texturé et d’une teinte soutenue qui entame un dialogue tantôt contrasté tantôt harmonieux avec les bâtiments anciens en pierre.
Avec l’intervention de l’Atelier Projectiles dans cette ville d’art et d’histoire, la minéralité semble se renouveler en entamant une nouvelle écriture toujours aussi pragmatique mais néanmoins antagoniste. L’extension que nous pouvons qualifier de monolithique se distingue dans le paysage urbain. Ni ostentatoire ni criarde, elle s’adapte à son voisinage et se raccorde avec tact aux constructions voisines. À l’intérieur, la scénographie est maîtrisée. Le visiteur peut découvrir une exposition permanente qui raconte l’histoire de la ville, rappelle son passé industriel et se focalise sur la vie de l’écrivain Jean Guéhenno. De même, plusieurs espaces sont dédiés à des expositions temporaires, des conférences et aussi des ateliers pédagogiques. Ce programme est complété par un pôle administratif et un espace d’accueil et de services.


Musée de la 82e Airborne
Situé à Sainte-Mère-Église, sur une parcelle symbolique des parachutages de la 82e Airborne, comptant cinq pavillons au sein de son parc, l'Airborne Museum est intrinsèquement lié au Débarquement du 6 juin 1944. C’est sur ce lieu symbolique au cadre naturellement scénographique que l’Atelier Projectiles vient de terminer son projet, qui vise à restructurer les anciens pavillons en y intégrant un nouveau bâtiment nommé WACO. Ce dernier vient parachever l’aménagement du site et renforce la vocation éducative et aussi mémorielle de ce lieu singulier. L’identité du musée est influencée par son environnement qui détermine la scénographie extérieure. L’architecture tire parti des éléments existants et entame un fin dialogue avec son environnement. Le nouveau pavillon WACO et le bâtiment d’accueil, positionnés à la limite de la parcelle, enserrent et valorisent la promenade au cœur du parc. Le parcours architectural oriente les visiteurs à travers les diverses entités donnant sur le voisinage et créant ainsi des points de vue singuliers. Le paysage alentour constitue une partie indissociable du musée, il constitue non seulement la toile de fond du planeur Waco mais sert de liant entre plusieurs époques. C’est ici, dans ce décor au temps suspendu, que le visiteur découvre l’histoire et se projette vers le futur.
L’intervention va au-delà de la simple restructuration des anciens pavillons et la création de nouveaux espaces. Il s’agit de la mise en valeur d’un lieu, de révéler un paysage et d’en créer des séquences. À Sainte-Mère-Eglise, l’Airborne Museum porte en lui les ingrédients d’une opération réussie.


Aménagement intérieur et scénographie pour Montblanc Haus en Allemagne
Atelier Projectiles a réalisé les aménagements intérieurs et scénographiques du parcours permanent et de l’exposition temporaire du Montblanc Haus de Hambourg, en Allemagne. Montblanc est une marque d’excellence qui se distingue par son histoire florissante, son audace et aussi tout le savoir-faire qui l’entoure. Il s’agit, en effet, dans le monde de l’écriture, d’un repère en constante évolution. Qui d’autre que l’Atelier Projectiles était à même de créer une nouvelle identité spatiale incarnant l'essence-même de la marque ? L’intervention, située au sein du Montblanc Haus, préserve le travail architectural de l'agence Nieto-Sobejano et crée une expérience spatiale en phase avec son écrin. Le projet élaboré avec habileté tend à embellir l'expérience des visiteurs tout en attirant l’attention sur certains objets de la marque. Le dialogue entre les différentes matières est habile, le design est en adéquation avec l’esprit même et la philosophie de Montblanc. Cette réalisation aussi pointilleuse que distinguée constitue une expérience à part entière qui fait la part belle à l’une des marques qui célèbre l’écriture.



Villa Hegra Cluster, Al-'Ula Central en Arabie Saoudite
Invité à participer au concours de la Villa Hegra à Al-‘Ula en Arabie Saoudite, Atelier Projectiles a proposé un projet qui s’insère dans son environnement et en tire le meilleur. Il s’agit d’une proposition qui habite la roche, s’identifie au lieu et dure dans le temps. Travailler sur un tel site c’est aussi comprendre la géologie du terrain, appréhender la roche, s’éloigner drastiquement des standards français habituels et se glisser dans le contexte. Atelier Projectiles s’est inspiré des villas nabatéennes pour créer une maison qui s’ouvre sur l’horizon, un lieu traversant où les courants d’air trouvent leur chemin, où l’eau est omniprésente, bref, une résidence qui instaure le dialogue entre les vents, l’eau et le sable pétrifié. C’est un morceau poétique, tout aussi architectural, qui reste dans les tiroirs de l’agence, puisque non retenu, mais vient garnir les annales de l’architecture.


L’actualité de l’Atelier Projectiles est prospère. Après avoir réalisé plusieurs constructions, des chantiers sont en cours en France et à l’étranger, dont la restructuration, l’extension et les aménagements intérieurs du National Cowgirl Museum de Fort Worth au Texas. Les distinctions ainsi que les références sont multiples. Mais au sein de l’Atelier, la modestie reste de mise. Après 20 ans et des réalisations emblématiques, le trio se creuse toujours les méninges, propose des idées pertinentes et vise les sommets.